Canal + fêtera ses 30 piges, en grande pompe, le 4 novembre prochain. Pour l’occasion, la chaîne cryptée la plus célèbre de France, réserve à ses abonnés (et aux autres), une programmation spéciale pendant tout le mois de novembre.
Depuis sa création, Canal + a façonné le paysage audiovisuel français, et a contribué à renouveler les codes du divertissement en proposant des programmations novatrices adaptées à chaque époque. Si mes parents ont pu s’esclaffer devant les entrées fracassantes d’un José Garcia, boudiné dans une jupe trop serrée, au bras d’Antoine De Caunes. J’ai pris un malin plaisir à citer de manière répétée les phrases de Jean Blaguin l’humoriste (le personnage de fiction inventé par Omar et Fred). Alors que mon petit cousin de 10 ans à peine, ne jure que par la bande du Bagel.
L’Esprit du comique
Dès 1987, lorsque le grand Coluche venait présenter son journal quotidien – « Un faux, Coluche » – peinturluré, et déguisé comme un animateur du Club Med, il a décoiffé le post de télévision, d’une France qui n’avait, encore jamais vu ça. Il n’est resté qu’un an, mais ça allait suffire à lancer « ce Taze » médiatique, dont le dicton est « toujours + ».
De la bande des Nuls, aux Robins des Bois, en passant par les imitations de Kad et O, Canal + a tout inventé. Inventer les fausses publicités, inventer les émissions de stand-up, et même inventer les caméras cachées. Bien avant, François Damien, c’est Philippe Vandel , Laurent Baffie, et Jean-Yves Lafess qui ont posé les bases d’un bon micro-trottoir, celui où l’on se joue de son interlocuteur, avec subtilité et finesse.
Il y a aussi cette culture du grand bordel, façon bagarre de saloon où le barman se retrouve projeté la tête la première dans le piano, avec un pianiste qui continue sa partition (sans fausses notes), malgré les lancées de guitares et les frictions d’oreilles du shérif .
Dans le rôle du pianiste et maître de cérémonie, il y a eu Philippe Gildas surtout et Denisot un peu. Dans le rôle des barmans, les trognes fantaisistes se sont succédées, du phrasé argotique de Jamel Debbouze à l’éloquence d’Édouard Baer, en passant par la folie de Jonathan Lambert et les subtilités québécoises de Gad Elmaleh.
L’Esprit du glamour
Canal + c’est la Silver Factory Hexagonale, on y entre petit « apprentie » comédien et on en sort icône nationale. Les garçons voulaient être Begbeider pendant que les filles se rêvaient en Louise Bourgoin. Forcément des salaires mensuels à cinq chiffres pour cinq vannes dans une chronique de cinq minutes, c’est un bon ratio. Puis il y a tout le reste: la reconnaissance, les soirées privées pendant le Festival de Cannes, les jolies filles et les contacts avec ce que le planète compte de plus médiatique. L’esprit Canal +, c’était la grande vie pour celui qui avait la chance d’y pénétrer. Un sorte de temple de la « hype » où la jeunesse de France rêvait de « faire ses classes ».
L’esprit Foot-Ball
Désolé pour ceux qui ne comprennent pas pourquoi le football est un sport populaire, mais le succès de Canal + est aussi passé par le ballon rond…
C’est en effet la première chaîne à retransmettre la Ligue 1 puis la Ligue des Champions. Plus fort, c’est elle qui est à l’origine du classico en l’Olympique de Marseille et le Paris – Katar – Germain. Une salle histoire qui mériterait à elle toute seule un article. Mais qui se résume avec deux acteurs : Bernard Tapie et Canal +.
Tapie voulait donner à l’OM un vrai rival pour pimenter le Championnat de France. Canal Plus, diffuseur des matchs de Division 1 et propriétaire du PSG, avait également intérêt à rendre spectaculaire ces confrontations. Résultat, les déclarations d’avant-match deviennent de plus en plus agressives, sur le terrain la bataille est féroce, et cette haine se déplace dans les tribunes : le classico était né.
C’est ainsi que tous les amateurs de football ont pu se délecter pendant presque trente ans – avant que Bein ne vienne gâcher la fête – privant par la même, les spectateurs de la Ligue des Champions gratuites sur TF1 (ça aussi, c’est une autre histoire).
Pour les amateurs du genre, Canal + est aussi à l’origine du film le plus mythique, sur l’épopée sportive, la plus mythique, du sport français : la coupe du monde 1998 (ce n’est pas moi qui le dis, c’est les anciens qui disent qui n’avaient pas vu autant de monde dans les rues, depuis la libération française en 1945).
Bref, « les Yeux dans les Bleus » c’est Canal +, les tirades d’Aimé Jacquet, et un générique de fin, qui arrache toujours une petite larme, surtout lorsqu’on n’est pas habitué.
Mais où est donc passé l’esprit Canal +?
On pourrait commencer tout de suite à faire tourner les tables, et à s’essayer au spiritualisme, car l’esprit Canal semble mort et enterré. Celui du « grand n’importe quoi » et du politiquement incorrect en tout cas. La bande de Petit Journal essaye de donner le change, mais derrière le sourire farceur de Yann Barthès, on constate un flagrant manque d’imagination et une difficulté redondante à trouver des sujets. Ensuite, il a le Grand Journal, héritier de Nule Par Ailleurs, qui a essayé de revenir aux fondamentaux, en demandant à Saint-Antoine, de devenir maître de cérémonie, mais là encore, ces acolytes ne suivent pas. Avec toute l’amitié qu’on peut porter aux différents You Tubeurs qui ont été débauchés par Canal + pour assurer la relève. Il est assez difficile de transposer le format des vidéos sur Internet au format de la télévision, qui nécessite un peu de folie, et d’imprévu.
Côté football, hormis l’Equipe du Dimanche (l’EDD pour les amateurs) qui reste une référence, on nous gave de consultants qui donnent leurs avis à tour de bras, multipliant les analyses et les coups bas, oubliant souvent qu’ils ont été joueurs avant d’être consultant, à tel point que l’on a souvent envie de leur rappeler cette histoire d’hôpital et de charité….
« Vous regardez toujours trop la télévision, bonsoir »
Malgré ce constat, Canal reste Canal. Toujours capable, d’écorner l’image des politiciens avec un Guignol bien senti, ou de résumer l’actualité des dernières 24h avec un petit Zapping, lui aussi,bien senti. C’est aussi la seule chaîne qui peut se payer des vrais Lives de musique à des heures de grandes audiences, et ça fait toujours plaisir.
Puis, il y a toujours des gouailleurs pour tenir le crachoir ; ils s’appellent Gaspard Proust, Stephane De Groodt, ou Chris Esquerre et ne laissent jamais leur plume à la maison lorsqu’il s’agit de chroniquer l’actualité. Lorsque la TV d’aujourd’hui nous propose comme référence littéraire absolue, Aymeric Caron, l’éloquence de ces types-là fait plaisir à entendre.
Pour finir sur une note vraiment positive, le Before du Grand Journal animé par notre Jimmy Fallon nationale, Monsieur Thomas Thourroute est vraiment ce que la chaîne sait faire de mieux. Un format court, mais intense, dans lequel il peut vraiment se passer n’importe quoi. D’abord, il y avait la Connasse, qui dans son rôle de blonde écervelée a renoué avec la grande tradition de la caméra cachée « made in Canal ». Puis tout un tas de petits sketches marrants, comme « dans la bouche de » ou « les complots », des petites pastilles d’humour frais et assez novatrices . Mais paradoxalement, l’émission n’a pas connu un très grand succès et c’est peut-être là où le bât blesse.
Si Canal s’apprête à fêter ses 30 ans sans accrocs, c’est qu’elle a su trouver des concepts qui plaisent aux gens (c’est la fameuse loi de l’offre et de la demande). La conclusion serait donc que les gens préfèrent des choses plus aseptisées et abrutissantes que la finesse d’esprit et les mots d’humour – on tombe des nues. (Quoi ?, on me dit que NRJ 12 fait 12% de l’audience nationale avec son émission des Anges de la téléréalité). L’esprit Canal serait donc bien encore là, mais il serait caché.
Caché par le CSA, caché par les consommateurs qui ont eu marre de voir le cul de Jango Edwards sur les commodes, caché par les dirigeants qui ont voulu vulgariser la chaîne, caché aussi par la mentalité d’une société de plus en plus austère. Canal fait désormais dans la facilité et donne aux gens ce qui veulent voir: un mélange de monotonie intellectuel et de bienpensante, avec comme principal soucis de ne choquer personne.
Pour les quarante ans de la chaîne alors, il serait peut-être bien de penser à nous secouer (à nouveau)…
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[…] un culte à la connasse du XXème siècle fait vendre, à l’image de la mini série de Canal + qui a remis la chaîne crypté au premier rang de la caméra cachée ou du livre des soeurs Girard […]
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