Quand j’avais six ans, Pâques était synonyme de festin chocolaté et de course effrénée en culottes courtes dans le jardin de ma tante Suzy. Quelques années plus tard, les réjouissances s’annoncent moins… réjouissantes. Fini l’époque où les yeux de cocker suffisaient pour sortir de table rapidement et aller savourer des Kinders en quantité industrielle sous la table. Aujourd’hui, il faut faire bonne figure, embrasser des joues pas toujours engageantes, parler de ses projets de vie – ce qui implique d’avoir des projets de vie, vous l’aurez compris. Bref, se comporter comme un adulte qui apprécie les fêtes de famille.
Avant, Pâques c’était plus marrant. Pourquoi ?
A mon humble avis, il faut revenir aux basiques. Je ne parlerai pas de l’effroyable désillusion lorsque ma cousine m’a annoncé en tripotant ses nattes que les chocolats ne poussaient pas dans les troncs d’arbre. Je ne parlerai pas non plus de ces fameuses vacances au cours desquelles ce petit lapin que j’avais mis des heures à dénicher m’a été enlevé au profit de cette même cousine, sous prétexte qu’elle en avait trouvé moins. Était-ce ma faute si elle n’était pas suffisamment douée en pistage de cacao ? Je vous le demande.
Il serait réducteur de n’envisager cela que sous l’angle gustatif. Car Pâques, ce n’est pas seulement culinaire, c’est aussi et surtout familial. Qui dit familial dit famille et donc ribambelle de cousins brillants. L’année dernière, c’était une véritable parade. Harold s’apprêtait à passer le concours de l’usine à présidents, Germain visait le barreau et cette chère cousine Noémy achevait triomphalement sa première année à la Sorbonne. Pendant ce temps, d’autres se débattaient avec une recherche de stage plutôt hasardeuse.
On en arrive donc au point crucial de mon propos. Le véritable problème, ce n’est pas Pâques. Non, ce n’est que la partie émergée de l’iceberg, le tout petit bout qui n’inquiète pas le capitaine du Titanic. La dure vérité, c’est que les fêtes de famille, bien que semblant de prime abord n’être que des occasions de se retrouver entre gens de bonne compagnie, sont en réalité une humiliation savamment organisée.
Il faut intéresser, charmer, briller. Avoir un plan de carrière, des loisirs fascinants, un avis sur la conjoncture économique. Dans le cas contraire, on imagine facilement les discussions une fois chacun rentré chez soi. « Ta pauvre sœur, il ne fait pas grand-chose son Marcel… »
Ne croyez pas pour autant que je me laisse aller au défaitisme. J’ai repassé mes plus beaux atours et ai travaillé mon rire mondain. J’ai d’ores et déjà préparé des fiches sur Modiano et Malala Yousafzai et renouvelé mon abonnement aux Echos. Prêt à sauter dans l’arène, je regrette simplement l’époque où je disais vouloir être astronaute et que tout le monde applaudissait en me tendant des chocolats.