Alain Pacadis. Ça vous dit rien ? Bon…
On est en plein milieu des années 70. Les années 80 arrivent à grands pas, et au fond d’une boite de nuit parisienne, un mec est assis et regarde la foule qui se déhanche autour de lui. Ils écoutent une toute nouvelle musique, qui sera la bande-son des noctambules pendant de nombreuses années : le démarrage de ce qu’on appelle déjà la « House Music ». Un mélange parfaitement dosé de funk, de disco et de musique électronique. Tout le monde danse, consomme, et la nuit se passe comme ça ; la prochaine est une occasion de recommencer. Le mec assis prend des notes sur eux, jusqu’au petit matin ; il passe la nuit à discuter, faire des interviews, prendre de la drogue. Le lendemain, il retranscrit tout ce qu’il a vu, dans sa chronique de Libération intitulée Whiteflash. On dirait un nom pour un tube de dentifrice, mais croyez-moi dans ces années-là, c’était quelque chose de beaucoup plus stylé.
« À l’époque donc, la culture avait une énorme place dans les journaux. »
À l’époque, Libé est un journal de gauche. Comme aujourd’hui me direz-vous. Et je vous répondrais qu’un débat peut être lancé. Mais ce n’est pas le sujet. À l’époque donc, la culture avait une énorme place dans les journaux. Les expositions, les portraits d’auteurs, de peintres ; les meilleurs pages des romans à venir, les critiques de projections privées. Je suppose que pour le théâtre c’était valable aussi. La mode musicale se résumait à l’émergence de plus en plus concrète d’une scène rock et de toutes ses nuances les plus sombres : punk, métal et j’en passe. Les représentants, alors inconnus, de cette musique étaient des gens comme Le Velvet Underground (avec un certain Lou Reed), The Stooges (avec un certain Iggy Pop), Les New-Yorks Dolls (avec une certaine j’ai pas d’exemple). Le journal sait qu’il faut rendre compte de cette émergence toute nouvelle, que personne ne semble réellement connaitre. Un petit gars, prénommé Alain Pacadis, jouera ce rôle de reporter entre les entrailles des salles de concert, et le commun des mortels. Il vit déjà au milieu de cette foule si particulière, en connait les codes et a déjà ses entrées dans le milieu. Du coup, tout est plus simple pour lui.
« Il aura l’occasion de côtoyer […] des gens comme Andy Warhol, Serge Gainsbourg ou Iggy Pop en personne »
Journaliste musical, cinéma, littéraire, et aussi inventeur de la chronique mondaine moderne (c’est dur à dire à l’oral ça !), il rapporte chaque jour ou presque (des fois il est incapable d’écrire une seule page tellement son état laisse à désirer) des moments capturés dans la capitale et ses lieux les plus emblématiques. Pas une soirée ne lui échappe ; ni aucune célébrité : il aura l’occasion de côtoyer et même de nouer des amitiés sincères avec des gens comme Andy Warhol, Serge Gainsbourg ou Iggy Pop en personne. Cette position lui donne certains avantages, comme avoir des interviews complètement inédites ; ses confessions font de lui un personnage important des nuits parisiennes dans les années 70 – 80.
Pourtant, Alain va mal, très mal, au fond de lui, depuis de nombreuses années.
Le décalage horaire qu’il s’inflige dans sa vie n’est pas volontaire. Lorsqu’il est encore jeune, sa mère se suicide, en lui donnant l’opportunité de plonger dans l’alcool et la drogue ; il part même en voyage faire la célèbre « Route de l’opium », qui l’emmène jusqu’aux portes de l’Orient. Une logique autodestructrice en somme. Son apparence négligée n’arrange rien ; parfois, il se hisse au rang de dandy, soucieux de son apparence. Au fur et à mesure que sa vie avance, sans prendre de recul sur son train de vie, il se préoccupe de moins en moins de sa santé physique (et bien évidemment mentale), et sombre peu à peu dans la grande dépression, ce tourbillon qui emporte les fous et les génies.
« Il ouvre la porte de chez lui, s’affale sur le sol froid de l’appartement. »
Un soir comme les autres, ou presque, il se pointe au Palace, et on lui refuse l’entrée. Il ne comprend pas ; il explique au videur, qu’il connait très bien, que le nouveau patron ne veut plus de lui. Il reprend un taxi pour rentrer chez lui ; son porte-feuille est vide. Altercation verbale, quasi physique. Il ouvre la porte de chez lui, s’affale sur le sol froid de l’appartement. Il trouve la force de dire à sa compagne (un transsexuel dénommé « Dinah ») : « Si tu m’aimes, tues-moi. » L’amour pousse aux pulsions les plus folles. Il s’éteint en 1986. Il laisse derrière lui un bouquin (désormais introuvable), une relique intitulée : Un jeune homme chic, édité par les éditions Sagittaire. Si vous en trouvez un, sachez que ça vaut dans les 350/400 euros, selon les années. De temps en temps, il est bon de rendre hommage aux poètes, car bien que journaliste, sa culture avait une étendue assez folle : étudiant en histoire de l’art pendant sa jeunesse, il citait volontiers Baudelaire ou Rimbaud dans ses articles. Une très belle plume, en plus du personnage atypique.