Même si cela n’est pas toujours simple, on peut être une femme sans enfant et ne pas vivre dans l’éternel regret de ne pas en avoir eu. Enquête et témoignages.
Toutes les femmes que nous avons rencontrées n’ont pas nécessairement choisi de ne pas avoir d’enfant, mais cela ne les empêche pas de vivre et d’aimer. Mariées ou pas, elles travaillent et ont une vie sociale riche.
Comment ressent-on le fait de ne pas être mère dans une société qui considère la maternité comme l’accomplissement des femmes ?
Agnès, 55 ans, revendique haut et fort son choix. Créateur de costumes (elle refuse que l’on dise “créatrice”), elle est passionnée par son métier qu’elle vit comme une véritable vocation et constate qu’il est tout simplement incompatible avec la maternité :
« J’ai décidé à 12 ans environ que je n’aurais pas d’enfant. Je ne voulais pas être une femme “femelle’ J’assume parfaitement ma féminité physique, mais moins la fonction de mère. Dans un métier comme le mien, on travaille parfois jusqu’à seize heures par jour, on est appelé à partir souvent à l’étranger sur des tournages. C’est totalement incompatible avec la maternité. D’ailleurs, je le vois bien autour de moi : dès qu’elles ont des enfants, les femmes arrêtent ce métier.
Avec un enfant, on sacrifie soit sa vie professionnelle, soit sa vie privée. Mon métier est ma passion, je n’ai jamais ressenti la nécessité d’avoir un enfant. »
Mon métier est ma passion, je n’ai jamais ressenti la nécessité d’avoir un enfant. Agnès 55 ans
Il est vrai que les femmes qui n’ont pas eu d’enfants et n’en auront plus ont, par définition, passé le cap de l’horloge biologique. Elles ont toutes plus de quarante ans. C’est la fameuse génération des baby-boomers, de la contraception et du féminisme. Celle qui a pu avoir le choix de travailler, d’être femme et mère, ou mère tout court. Ou femme et pas mère, qui a refusé le rôle traditionnel des femmes exclusivement définies par la maternité ou, pour certaines, la soumission aux hommes.
Plus jeune qu’Agnès, Elisabeth, 40 ans, n’a effectivement aucune envie de ressembler à sa mère : « On peut vivre heureuse sans enfant ! » s’insurge-t-elle.
« Si j’avais vraiment voulu un enfant, j’aurais pu en avoir, explique-t-elle. Mais ma mère a été’ “la victime” de mon père. Je n’ai pas envie de ressembler à cette image de femme. »
La pression sociale pousse à se justifier en permanence
Notre société est ainsi faite qu’une femme sans enfant suscite toujours des interrogations.
Serait-elle homosexuelle ? Quand elles ont un mari, un compagnon attitré ou bien des aventures, les questions fusent. « Tu ne veux pas d’enfant ? » ou encore « Quand est-ce que tu fais un enfant ?« …
Une pression sociale très forte, souvent ressentie de manière intrusive, voire violente, contraint ces femmes à toujours devoir se justifier. Arrivées à un certain âge, certaines trouvent la parade en répondant : “Je suis trop vieille.”
Mais tant qu’elles ne sont pas ménopausées, elles doivent bien répondre. Or, dans la vie des femmes, beaucoup de sujets de conversation tournent autour des enfants : chez le coiffeur, dans les dîners et, évidemment, en… famille. Ce qui les amène toutes, à un moment ou l’autre, à se poser des questions sur elles-mêmes.
Un renoncement qui oblige à faire un travail de deuil
Les questions que pose l’entourage de manière souvent indiscrète renvoient les femmes à leur propre intimité.
« Dire que l’on est heureuse sans enfant, c’est souvent avoir effectué ce qu’en psychanalyse nous appelons un travail de reconstruction, il y a un travail progressif de l’ordre du renoncement. »
Difficile à admettre et à reconnaître pour Marie, qui se réjouit : « Je vais avoir 42 ans la semaine prochaine. Ouf ! Bientôt je ne pourrai plus en avoir, formidable ! Si j’en avais voulu un, j’aurais pu. Je n’ai jamais dérapé. Jamais été enceinte. J’ai toujours pris la pilule. Je fais partie d’une catégorie de femmes, comme certains hommes, qui n’ont pas envie d’enfant. »
Agnès, l’artiste, qui a réussi à concilier sa passion pour son métier avec une vie de couple riche qui dure depuis près de vingt ans parle de choix, mais refuse l’idée de renoncement.
Pas Angelina, qui a fait une psychothérapie pendant quatre ans, après qu’Alex l’ait quittée au bout de vingt-cinq ans de vie commune, la laissant définitivement sans enfant :
« Autrefois, quand les femmes me racontaient leur grossesse et leur accouchement, c’était une vraie douleur pour moi.
L’avis des autres m’importe peu. Évidemment je me demande parfois si je suis passée à côté de quelque chose. Est-ce que des enfants m’auraient fait avancer ?
Aujourd’hui, je l’ai dépassée. J’aurais pu partir et avoir un enfant avec un autre homme. Pourquoi est-ce lui que j’ai tant aimé ? Cette passion n’a-t-elle pas été un refuge ? En fait, il était un enfant. Je le maternais beaucoup. Par son calme, il me rassurait. Par son côté désemparé et enfantin, il m’attendrissait… »
Marie et Angelina sont de merveilleuses complices pour des ribambelles d’enfants à qui elles envoient des petits mots et des cadeaux. Comme des grandes sœurs. Pas du tout comme des “mères de substitution”.
Il y a un passage dans une autre génération qui ne se fait pas. Comme un désir d’une éternelle jeunesse, avec une négation de l’éventualité du vieillissement.
« Je suis une fille, dit effectivement Elisabeth. Pas une femme. Je vis comme une éternelle adolescente. Je ne me vois pas faire des promenades en famille le dimanche. Transmettre la douleur que j’ai ressentie quand j’étais moi-même une enfant.
Avoir un enfant est une coupure entre l’adolescence et l’âge adulte. Moi, j’ai l’impression d’une continuité avec ce que je suis. »
Agnès n’est pas d’accord, elle qui assume de très grosses responsabilités professionnelles. Difficile de faire la part des choses, de savoir ce qui a été “loupé” entre elles-mêmes et leur propre mère, ce que seul un travail sur soi permet de comprendre.
Objectivement pourtant, toutes ces femmes rencontrées ont un amour de la vie, un plaisir de faire ce qu’elles ont à faire qui prouve qu’effectivement, on peut parfaitement être une femme sans être mère. Avec, pour certaines, des regrets, certes. Mais quelle femme n’en a pas ?
Avec ou sans enfant !
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